Voici un « problème aidé » présenté plaisamment.
À Jean Bertin, amicalement.
Ma partie était perdue sans remède. Les Noirs, qui avaient le trait, n’avaient plus qu’à jouer : ...Dh2 échec et mat.
Voici quelle était la position (Voir Diagramme ci-contre).
C’était en vain, hélas ! qu’un pion héroïque avait atteint la case d7. Mais je n’étais pas autrement surpris de cette défaite écrasante. Mon adversaire était de première force et, depuis des années, je caressais l’espoir, toujours déçu, de remporter une partie nulle.
Cinq bonnes minutes s’étaient écoulées depuis mon dernier coup d6-d7 et j’attendais, résigné, la mort inévitable. Mon adversaire, visiblement plongé dans de profondes réflexions, paraissait ne pas voir le mat aveuglant.
— Eh bien, dis-je, un peu impatienté, qu’attendez-vous pour me faire mat ?
— Je viens d’examiner la position attentivement et je m’aperçois que, si j’y mettais un peu de bonne volonté, c’est vous qui pourriez me faire mat en quatre coups. Mais... aimez-vous les Échecs féeriques ?
J’étais plutôt interloqué. Mon adversaire, qui n’a rien d’un plaisantin, parlait fort sérieusement.
— Les Échecs féeriques... heu... vous savez... les Échecs orthodoxes me suffisent. Mais je serais fort curieux, je vous l’avoue, de savoir comment, dans une position aussi dépouillée et aussi désespérée les Blancs peuvent exécuter un mat en quatre coups.
— Il suffit pour ce faire que je joue avec I’intention de vous aider à donner le mat. Et comme le trait m’appartient, je joue : ...Cd2-b1.
— Votre coup me surprend, je l’avoue. Mais j’accepte la gageure. Et comme mon Roi ne peut bouger je n’ai pas I’embarras du choix. Je joue donc : d7-d8 fait Dame.
— N’en faites rien grand Dieu ! Avec une Dame vous ne pourriez jamais me faire mat en quatre coups. Faites un Cavalier.
— Soit : d7-d8 fait Cavalier.
Les Noirs répliquèrent par : ... Df2-a2.
Sur le coup blanc Cd8-e6, mon adversaire intervint vivement :
— Pas en e6, votre Cavalier. C’est en c6 qu’il faut le jouer. Autrement le mat vous échappe.
Je rectifiai donc et jouai Cd8-c6.
La réponse noire : ... Fg1-d4 fut accompagnée d’un bref commentaire :
— Vous comprenez maintenant pourquoi votre Cavalier ne peut passer sur la case e6. Pour se rendre de e6 en c2, où il donnera le mat, votre coursier devrait capturer mon Fou et le mat serait impossible.
Tout à coup, ce fut l’illumination ; j’avais enfin compris. Je jouai : Cc6-b4 et, sur la réponse noire : ... Fd4—b2, j’annonçai modestement Cb4-c2 échec et mat.
L’avouerai-je ? Je ressentis quelque plaisir. C’était la première fois que je battais mon brillant adversaire.
— Bravo ! m’écriais-je, bravo ! Votre manœuvre est très amusante et tout à fait imprévue.
— Je suis très heureux de vous avoir converti aux Échecs féeriques. Blancs et Noirs viennent de collaborer pour exécuter « un mat aidé en quatre coups ». C’était très simple, vous l’avez vu, il suffisait d’y penser.
Bulletin Ouvrier des Échecs. Janvier 1947